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Photo du rédacteurLe blog de Fatoumata

10 kg

Dernière mise à jour : 7 août 2022


"Tu as pris du poids." Une observation rapide à l'implacable lucidité. Souvent, on fait les gros yeux pour signaler à la personne que son commentaire est déplacé. Mais pourquoi il est déplacé, quand le "Tu as perdu, dis donc!" à l'inflexion admirative est tant convoité ? Deux poids... Deux mesures.

Je suis d'avis à dire que les commentaires sur le physique tant qu'ils se cantonnent strictement à de l'observation, c'est plus ou moins acceptable. Un peu comme on peut commenter la météo. Tiens, je remarque des nuages aujourd'hui et je perçois une humidité dans l'air, c'est donc une journée pluvieuse aujourd'hui.

Toutefois, lorsque l'on débarque sur la route du jugement, ces commentaires - aussi bien intentionnés soient-ils - me posent problèmes. Ils me posent problèmes fondamentalement car c'est de l'avis distribué sans sollicitions. Sur un sujet sensible, traité comme une badinerie. Et très souvent cet avis s'appuie sur les propres rapports aux corps qu'ont intégrés la personne depuis la petite enfance, ce qui lui permet de classer les gens en catégorie de beauté indexé sur le poids. Ca je n'y peux rien y changer, c'est sociétale, c'est structurelle, c'est personnelle. D'ailleurs, je montrerai nue devant 10 personnes, 4 me trouveront surement enrobée, 1 obèse, 3 mince, 2 d'un poids normal. La perception du poids appartient à chacun.


Par contre, la résonnance de ces propos à l'intérieur de moi lorsque ces phrases me sont adressées, ça je peux m'en libérer avec quelques efforts. Mais pas les moindres. Car ça accroche fort. Car moi aussi, je suis d'accord, j'ai grossi, c'est vrai et j'ai du mal à me plaire ainsi. J'ai du mal avec mes fesses et mes cuisses parcourus de cellulites. J'ai du mal avec mes bras qui s'épaississent. J'ai vraiment du mal avec mon ventre qui prend plus d'espace et commence à déborder de mes pantalons. J'ai du mal avec les creux, les plis que je constate sur mon corps. J'ai du mal avec la chair qui commence à se dessiner sous mon menton.

Je me sens lourde. Je me retrouve pas dans ce corps, je suis encore surprise lorsque je me cogne à certains endroits. Je n'ai pas encore intégré correctement mon volume dans l'espace. Je suis surprise du bruit de mes pas. Je suis étonnée de me sentir bientôt à l'étroit dans des vêtements où j'avais l'habitude d'être à l'aise.

J'essaye d'être ouverte et d'en parler avec placidité. Je continue de m'aimer bien sûr, si je n'ai pas d'amour pour moi alors à quoi bon ? Mais la vérité, c'est que je suis loin de me sentir à l'aise à porter ces 10 kgs que je considère en trop. Je les considère en trop car je les ai pas intégré. A vrai dire, je refuse de les intégrer. Il ne vont pas avec l'idée que je me fais de moi. Comment laisser derrière moi l'image de "femme forte" si mon corps en est le reflet ? Comment puis-je être considérée comme précieuse, à traiter avec douceur et tendresse quand j'ai autant de couches de chair pour me protéger ? Comment puis-je me sentir pétillante et débordante d'énergie quand des gestes du quotidien deviennent des efforts ?

On dit que le corps est le reflet de l'âme, ça doit sûrement être vrai. J'ai ouvert beaucoup d'espaces à l'intérieur de moi, pour me transcender. Donc en y réfléchissant bien, les 10kg en sont la manifestation matérielle. Le corps étant de le dernier échelon lorsqu'on embrasse un changement. Donc je sais que ce décalage entre ma nature profonde et mon corps est temporaire. Que le temps viendra et je prendrai la juste forme qui sera idoine avec mon moi profond. L'alignement parfait âme-esprit-corps. J'ai envie de lui dire que c'est bon, il n'y a plus besoin de créer de l'espace pour se protéger car on est en sécurité. Il n'y a plus besoin de garder stocker dans les cuisses la culpabilité, car on s'en est affranchi. Il n'y a plus besoin de rembourrer les fesses car je suis soutenue en toutes circonstances. Il n'y a plus besoin de recouvrir mon délicat ventre car je suis protégée. Tout va bien.

Je résiste vaillamment à la compulsion du régime alimentaire et de la pratique d'exercice. Je refuse de réemprunter cette voie jonchée d'injonctions n'ayant aucun égards pour les besoins de mon corps. Je refuse de l'y soumettre à nouveau. Je veux trouver une voie respectueuse, où discipline, écoute, amour et douceur seront le socle de ma pratique sportive, pour plus de légèreté et de dynamisme. Je refuse de compter les calories, surveiller mes assiettes, niée certaines envies. Je refuse de pousser mon corps au delà de mes capacités. Je refuse de lui faire ce mal. Je suis très fière d'arriver à tenir ce discours avec sincérité. J'ai du respect pour mon corps. Je tiens à lui. Il m'est précieux. Je m'ouvre à lui pour l'écouter. Et je sais qu'il sera bientôt temps de me remettre en mouvement avec fluidité.

Donc pour l'instant présent, même si je ressens un malaise je vais me porter.

Moi et mes 75kg.

- Fatoumata, le 22/07/2022


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